Retournement de la situation. (article tiré de la Revue "Le Cosmos" du 7 janvier 1899)

Il a fallu la crise commerciale qui sévit actuellement sur notre pays pour attirer de nouveau l'attention sur l'importance des voies par eau.
La cherté des transports par chemin de fer, la concurrence à outrance que nous font sur notre propre marché les produits étrangers, l'exemple des autres pays où le développement des voies fluviales a pris une si grande importance et a contribué pour une si large part à la prospérité des ports de commerce ont fini par ramener la faveur sur ce mode de transport si longtemps dédaigné.
Pendant qu'Anvers, Rotterdam, Hambourg voyaient leur trafic augmenter dans des proportions inouïes, celui de nos ports ne cessait de diminuer ou restait tout juste stationnaire. On se convainquit bientôt qu'une des causes, et non des moindres, de cette prospérité de nos rivaux, c'était la facilité et le bon marché avec lesquels les marchandises de l'intérieur pouvaient accéder à leurs ports, tandis que la plupart des nôtres étaient de véritables culs de sac ne communicant avec le reste du pays que par des voies ferrées, souvent par une unique voie ferrée, comme c'est le cas de Marseille et du Havre. On notera que le Havre réclame depuis longtemps, sans pouvoir l'obtenir, une seconde ligne de chemin de fer qui mettrait directement ce port en communication avec la rive gauche de la Seine et toute la partie Ouest de la France.
Seul, Dunkerque, auquel aboutit le réseau des canaux du Nord, a vu son trafic augmenter dans une proportion considérable, et cet ancien port de cabotage est devenu, en partie, grâce à cela, le rival du Havre et d'Anvers.
Aussi demande-t-on maintenant des canaux de toutes parts. Marseille est en instance pour se relier au Rhône.(1) Paris veut avoir son Port de mer, Bordeaux et Toulouse réclament leur canal des Deux mers.(2)
Nantes n'a pas voulu rester en arrière. Cette grande et belle ville a la légitime ambition de redevenir ce qu'elle était au siècle dernier, le grand entrepôt de la France sur l'Atlantique et le centre de son commerce avec les Antilles et l'Amérique du Sud.
Sa situation sur le grand fleuve qui constituerait la plus belle artère fluviale de notre pays, s'il était navigable ailleurs que dans les livres de géographie.
Du reste, Nantes est une ville d'initiative, où l'on ne craint pas de se mettre en avant.
C'est grâce à ses démarches qu'a été créé le canal maritime qui relie Paimboeuf à La Martinière, et permet aux navires remontant à Nantes d'éviter la partie la plus dangereuse et la plus ensablée du fleuve.
Si l'on rapproche ces différents travaux de ceux qui ont été effectués à l'entrée même du fleuve, entre autres le creusement d'un chenal de 5 mètres de profondeur à basse mer sur la barre des Charpentiers, on voit que le cours inférieur de la Loire a été amélioré dans des proportions considérables qui permettent aux navires de haute mer de remonter facilement jusqu'à Nantes.

Mais Nantes ne pourra recouvrer son ancienne prospérité commerciale tant que l'amont n'aura pas été amélioré comme l'aval, tant que les marchandises de l'intérieur ne pourront pas arriver à bon compte sur ses quais et que celles de l'extérieur ne pourront pas remonter dans le centre de la France.
Pour compléter l'ensemble des mesures prises jusqu'à présent, il est donc indispensable de rendre la Loire fluviale à la navigation par la batellerie comme la Loire maritime l'a été à la navigation de haute mer.
Les habitants de Nantes s'en sont parfaitement rendu compte, et ils ont formé une société dite de la Loire navigable qui a pour but de promouvoir les travaux à faire pour améliorer le cours du fleuve et donner à la batellerie un mouillage comparable à celui qui se trouve sur la Seine et sur le Rhône.
Les projets .
La société La Loire navigable a des comités à Ancenis, Angers, Saumur, Tours, Chinon, Blois, Orléans, Gien, Poitiers, Châtelleraut, Laval, Le Mans,etc…dont la dynamique action a permis la création d'une Commission instituée par le Ministre des Travaux publics sous la direction de M. Fargues, Inspecteur général des Ponts et Chaussées, pour étudier les différents projets d'amélioration qui lui sont soumis.
Théoriquement, la Loire est reliée au reste du réseau fluvial de la France par le canal d'Orléans, le canal de Briare et le canal du Nivernais qui la font communiquer avec le bassin de la Seine, par le canal du Centre qui l'unit à la Saône, et par le canal de Nantes à Brest qui la fait communiquer avec les principales rivières de Bretagne, le Vilaine, le Blavet et l'Aulne.
Mais ces liaisons sont absolument fictives. Tous ces canaux et toutes les rivières canalisées auxquels ils aboutissent ont une profondeur de 1,50 m alors que la Loire n'a souvent que 0,50 m et parfois même 0,30 cm de profondeur.
Pour remédier à ces maux, le dragage serait tout à fait insuffisant. La création d'un canal latéral paraît à priori la solution la plus simple, mais cette simplicité n'est qu'apparente. Ce canal coûterait excessivement cher, et il provoquerait l'abandon de l'entretien du lit du fleuve. Ce canal devrait nécessairement passer par les grandes villes qui ne sont pas toutes sur la même rive de la Loire. Cela suppose que le canal traverse plusieurs fois le fleuve, donc en empruntant son lit capable de déposer beaucoup d'alluvions et de gêner la circulation.
La solution semble être dans un aménagement judicieux des rives de la Loire, et comme le suggère M. Fargue, l'établissement de nombreux barrages qui permettraient de diminuer la vitesse des eaux du fleuve en maintenant un chenal assez profond pour la navigation.
Des études dans la Garonne ont été faites, qui devront être entreprise sur la Loire pour aboutir à des solutions réalisables.

(1) Voir "projet de canal de Marseille au Rhône " 1896

(2) Voir " Le canal des deux Mers " 1894
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